Dixième épisode : Bruno et Alice: Une histoire d'amour en douze épisodes sur les aînés et la sécurité – Le tapis volant

Je ne me suis jamais considérée comme étant une personne exigeante ou autoritaire, et je n'ai d'ailleurs jamais compris pourquoi mes collègues de travail, il y a de cela bien longtemps, m'avaient surnommée « le bélier de velours». Je suis une femme diplomate qui n'a pas peur de dire ce qu'elle pense, voilà tout.

Le fait de passer plus de temps avec Bruno m'a d'ailleurs donné l'occasion de m'exprimer clairement à plusieurs reprises. Bruno est un homme drôle, sensible et créatif mais, franchement, quand je l'ai rencontré, il avait tendance à laisser aller les choses, sans compter qu'il était également distrait.

Quant à moi, j'aime vivre dans un environnement confortable. Le fait d'être si souvent chez Bruno m'a justement fait réfléchir à ce que le confort signifie concrètement pour moi...

J'ai convaincu Bruno d'améliorer la qualité de l'éclairage et de réparer les escaliers. Il a même fait réparer la terrasse arrière. Du coup, la maison s'est embellie et offre maintenant plus de sécurité. Mais il y a un changement que je n'ai jamais pensé faire; cela nous aurait pourtant épargné bien des émotions.

Par un soir de juin, Bruno et moi étions sur la terrasse arrière en train de regarder les étoiles (la retraite comporte ses avantages...). La sonnerie de la porte d'entrée a retenti et Bruno s'est levé d'un bond pour aller répondre. Il est très agile pour ses 75 ans et personne ne pourrait l'accuser de ralentir en vieillissant, croyez-moi!

Quelques secondes après son départ j'ai entendu un fracas épouvantable et un cri à faire frémir. J'ai couru voir ce qui s'était passé et là, devant la porte d'entrée, j'ai vu mon Bruno étalé de tout son long parmi les parapluies et les éclats de céramique du porte-parapluies. Sa fille essayait d'entrer dans la maison pour lui venir en aide mais Bruno bloquait complètement la porte.

Près de lui se trouvait l'objet responsable de sa chute : un petit tapis oriental qui devait orner le hall depuis des décennies. Il avait maintenant l'épaisseur d'une feuille et le moindre mouvement d'air l'envoyait valser à l'autre bout du plancher. Bruno n'avait certainement pas dû y poser le pied à plat.

Je me sentais terriblement coupable. Nous aurions pu prévoir l'incident; les carpettes et les tapis causent plusieurs chutes à la maison, c'est bien connu. Puisque Bruno ne voulait pas se débarrasser de ce tapis, j'ai décidé de le doubler de caoutchouc anti-dérapant afin de prévenir les glissades. Si nous y avions pensé avant, Bruno n'aurait pas eu à faire ce numéro de haute voltige sur un tapis volant. Mais il ne le refera pas de sitôt : une nuit dans la salle d'urgence de l'hôpital suffit amplement pour ramener quelqu'un les deux pieds sur terre.


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