ARCHIVÉ : Leçons de la crise du SRAS – Renouvellement de la santé publique au Canada – La réponse de Dr Naylor à la Ministre McLellan

 


Le 15 juin 2003

Honorable A. Anne McLellan
Ministre de la Santé
Gouvernement du Canada
Ottawa (Ontario)
K1A 0K9

Madame la Ministre,

Merci de votre lettre du 12 mai.

Le Comité consultatif sur le SRAS et la santé publique apprécie votre confiance. Comme vous le savez, nous en sommes à dégager des leçons de cette grave épidémie, et nous avons l'intention d'offrir des conseils sur les stratégies et les investissements susceptibles d'aider à améliorer la réponse du Canada à des épidémies semblables dans l'avenir.

Jusqu'à présent, le comité s'est réuni trois fois. Nous avons compilé des documents d'information qui seront utiles pour nos rapports; nous avons réalisé des progrès, grâce aux entrevues et à l'examen des sources disponibles, pour établir une chronologie du SRAS; et nous avons commencé à étudier diverses possibilités de changement en réponse aux questions déterminées. Nous envisageons terminer nos travaux en août.

En ce qui concerne votre demande, le comité l'a examinée, discutée et a convenu de la réponse suivante.

Le comité croit que le dépistage du SRAS chez les voyageurs internationaux par diverses méthodes risque de ne pas être tout à fait efficace pour lutter contre cette maladie et la plupart des autres maladies transmissibles, étant donné les technologies actuelles. Sans une nette amélioration des méthodes de dépistage (p. ex. la détection présymptomatique non envahissante des personnes qui développeront plus tard le SRAS), l'importation de maladies infectieuses, dont le SRAS, peut se produire même si nous prenons les meilleures précautions. Ainsi, nous croyons que les gouvernements devraient, d'abord et avant tout, établir l'infrastructure de santé publique nécessaire et renforcer la capacité clinique de contenir les épidémies infectieuses. L'endiguement local et le repérage rapide des contacts sont indispensables afin de prévenir l'exportation des maladies infectieuses et de limiter l'impact de celles qui sont importées.

Contexte

Le comité comprend parfaitement pourquoi Santé Canada a institué le dépistage du SRAS chez les voyageurs. Il s'agit là d'une action concrète du gouvernement, et le contrôle de la circulation transfrontalière est nettement du ressort du gouvernement du Canada. Le gouvernement doit maintenir la confiance du public concernant l'état de santé des visiteurs et des immigrants au Canada, répondre aux préoccupations des gouvernements provinciaux au sujet de l'importation du SRAS et répondre aux attentes d'organisations comme l'Organisation mondiale de la santé. Nous comprenons également que, pour les fonctionnaires travaillant dans les aéroports, le dépistage thermique soit une option attrayante, car ils se sentent davantage en sécurité.

À Hong Kong et à Singapour, des centaines de milliers de voyageurs ont passé par les scanners thermiques. Des centaines de voyageurs ont été retenus afin que l'on puisse prendre leur température et effectuer un examen plus poussé. Il semblerait qu'un seul cas suspect de SRAS ait été détecté de cette façon. L'effet dissuasif des scanners a été affirmé mais n'a jamais été prouvé. Les aéroports de Toronto et de Vancouver font présentement l'essai des scanners.

Un système de « carte cerise » est aussi utilisé à l'aéroport de Toronto, car Toronto est une région affectée par le SRAS. Tous les passagers au départ reçoivent une feuille de couleur cerise présentant de l'information sur la santé et trois questions de dépistage. À l'arrivée, tous ceux qui ont répondu « oui » à une des questions sont dirigés vers une infirmière de Santé Canada pour vérification de leur température et une entrevue.

Les passagers arrivant au Canada reçoivent un avis d'alerte médicale et une carte jaune affichant trois questions de dépistage du SRAS. Ces cartes sont remises sur tous les vols en provenance de l'Asie, mais la portée du dépistage est régulièrement élargie pour inclure tous les vols à l'arrivée aux six grands aéroports internationaux. Les passagers en provenance de l'Asie remplissent également un formulaire de renseignements sur le voyageur sur lequel ils doivent indiquer où ils seront au cours des deux prochaines semaines. Ces cartes et ces formulaires sont conservés à chaque aéroport et classés par vol. Les formulaires de renseignements sur le voyageur sont remis aux fonctionnaires de Santé Canada à mesure que les passagers débarquent. Les passagers passent devant un agent de quarantaine chargé de recenser ceux qui semblent visiblement malades. Les cartes jaunes remplies sont remises aux agents de l'ADRC, qui appellent les infirmières de Santé Canada si des réponses affirmatives sont fournies.

À la fin de la semaine dernière, on estimait que 800 000 passagers étaient passés par les systèmes de cartes, les scanners ou les deux. Environ 550 personnes ont fait l'objet d'une vérification secondaire. À ce jour, aucun cas de SRAS n'a été détecté par ces systèmes de dépistage au Canada.

Nous estimons que des dizaines de milliers de dollars ont été ou seront dépensés pour rendre ces systèmes opérationnels. Malheureusement, le questionnaire ne permettra pas de dépister des personnes atteintes du SRAS qui se méfient de leurs symptômes ou qui sont asymptomatiques parce qu'elles sont encore en période d'incubation. Plusieurs autres maladies infectieuses ont une période d'incubation ou des symptômes limités. Le dépistage basé sur les symptômes ou le dépistage thermique ne permettra jamais de détecter de telles personnes arrivant au Canada.

Les critères sur lesquels l'OMS se fonde pour émettre un avertissement aux voyageurs sur le SRAS incluent l'exportation des cas. L'exportation ne reflète pas nécessairement la laxité du dépistage à l'aéroport de départ ou d'arrivée, car des personnes peuvent être asymptomatiques. Une seule raison justifie les critères de l'OMS : l'exportation est un marqueur de risque de propagation internationale basé sur a) le nombre de cas en incubation dans la collectivité qui n'ont pas été suivis ou mis en quarantaine et qui, par conséquent, voyagent, et b) la propension des personnes des collectivités affectées à voyager à l'étranger. Ainsi, tel que susmentionné, il serait plus productif d'investir dans de meilleures mesures de santé publique locale pour isoler ou mettre en quarantaine les personnes qui peuvent propager le SRAS à l'étranger que d'investir massivement dans le dépistage dans les aéroports de départ. De plus, il faut insister sur le fait que seulement quelques personnes dans le monde ont propagé le SRAS du Canada vers d'autres pays.

Nous notons également que les mesures doivent, en théorie, être élargies pour inclure le transport terrestre et le transport maritime. Les répercussions financières et logistiques rendent cette option irréaliste.

Réponse aux questions spécifiques

Nous abordons maintenant vos questions spécifiques que nous paraphrasons : Le formulaire de l'ADRC devrait-il être modifié pour laisser plus d'espace dans la partie où le voyageur indique les pays visités? Et pouvons-nous concevoir des questions de dépistage génériques pour le formulaire de l'ADRC qui permettraient de dépister systématiquement les personnes à risque à leur entrée au Canada?

La réponse du comité est « non » aux deux questions pour les raisons suivantes.

Nous pensons qu'il sera difficile, au plan logistique, de demander aux douaniers d'examiner les listes des escales sur les formulaires. Dans certains cas, ces listes risquent d'être longues et très compliquées. Les pays ou les régions jugés à risque d'exporter des maladies infectieuses changeront régulièrement et il faudra en aviser régulièrement les douaniers de première ligne. Comme nous l'avons vu avec l'avertissement aux voyageurs de l'OMS pour Toronto, des personnes raisonnables peuvent être en désaccord total sur la question de savoir si la visite d'une région particulière présente ou non un risque d'importation de la maladie au retour au lieu d'origine.

Au sujet des questions génériques pour les voyageurs, nous avons étudié avec soin le rendement de diverses questions. Certaines questions semblent logiques, notamment : « Avez-vous eu de la fièvre ou des frissons au cours des 7 derniers jours? » ou « Avez-vous été en contact récemment avec quelqu'un qui avait une maladie infectieuse? » Là encore, le dépistage des symptômes ne règle pas les problèmes posés par les périodes d'incubation, les réponses mensongères sur les formulaires, l'utilisation d'antipyrétiques pour masquer les symptômes, etc. La question de savoir si le voyageur a été en contact avec une personne susceptible de transmettre une maladie infectieuse est beaucoup trop générale. Les questions doivent porter sur des maladies spécifiques. Cela présuppose en retour que le voyageur se rappellera et reconnaîtra les signes et les symptômes d'une maladie particulière chez une personne à qui il a été exposé, que le voyageur sera honnête et que la liste des maladies et des signes ou des symptômes associés sera mise à jour constamment et communiquée.

En outre, bien que le comité comprenne la raison d'être du système de cartes jaunes présentement en vigueur, nous considérons qu'il donne un très faible rendement. Nous ne préconisons pas de le discontinuer, mais bien d'en faire une évaluation précoce, critique et soigneuse avant qu'il ne devienne un « nouveau système normal » par modification des formulaires de l'ADRC.

Nous nous sommes demandé s'il valait la peine d'effectuer une analyse économique du dépistage thermique ou des systèmes de cartes dans le cadre de cette évaluation, et nous avons décidé de pas suggérer une telle étude. Si un seul patient passe par les mailles du filet et cause une épidémie de SRAS, provoquant un impact économique massif, les résultats seront alors énormément faussés en regard du rendement du dépistage. Si nous dépistons un seul cas et en déduisons que nous avons prévenu une épidémie, la balance penche immédiatement et complètement dans l'autre direction. En conséquence, nous pensons qu'il faudrait chercher à déterminer le nombre de cas de SRAS ou d'autres maladies infectieuses qui sont détectés par ces systèmes (nous croyons que la preuve indique déjà que le rendement sera négligeable), et à déterminer les coûts directs de la mise en place du programme (indépendamment des coûts indirects assumés par les lignes aériennes et les voyageurs qu'il est très difficile d'évaluer avec précision).

Toutefois, cette dernière question nous ramène à la préoccupation conceptuelle que nous avons au sujet du dépistage des voyageurs. La menace posée par une personne quelconque, qui apporte le SRAS ou une maladie semblable au Canada, est mieux contenue par l'amélioration des mesures de santé publique locales et l'institution d'un meilleur système de surveillance dans les cabinets des médecins et les salles d'attente. Le déploiement d'agents de la quarantaine aux aéroports et la coopération étroite avec les lignes aériennes pour identifier les voyageurs malades semblent valables. Comme nous l'avons vu avec le premier patient atteint du SRAS qui est arrivé en Colombie-Britannique en provenance de Hong Kong, si les personnes malades sont identifiées rapidement et que des mesures d'isolement sont prises dès le début, les épidémies peuvent alors être contenues. Et, comme nous pourrions l'inférer à partir de l'historique du premier groupe de SRAS à Toronto, si une personne est asymptomatique à son arrivée au Canada, ni le système de cartes jaunes ni le dépistage thermique ne permettront de prévenir une épidémie.

Avant d'investir davantage dans le dépistage des voyageurs, nous croyons que tous les paliers de gouvernement devraient travailler ensemble afin d'améliorer l'infrastructure de santé publique et s'assurer de pouvoir endiguer rapidement les épidémies subséquentes. Nous croyons que le public et les professionnels devraient être mieux renseignés sur les mesures de santé publique et les voyages en rapport avec les maladies infectieuses. Plus précisément, il faut sensibiliser davantage le public à l'importance des antécédents de voyage pour comprendre les maladies infectieuses. Cela pourrait améliorer la disponibilité des antécédents de voyage pour les cliniciens et les agents d'hygiène publique. Nous croyons également que le grand public et les professionnels de la santé devraient être avertis à temps des risques pour la santé mondiaux, nationaux et locaux découlant des maladies infectieuses. Enfin, nous notons que de nombreuses salles d'urgence ne sont pas bien équipées pour traiter les patients qui présentent des signes de maladie infectieuse (p.ex. les aires d'attente communes, absence de salles d'évaluation à pression négative, protocole peu rigoureux pour traiter les patients atteints d'une maladie contagieuse suspecte, accès limité au personnel de lutte contre les infections, etc.).

Mesures préconisées par le comité

En attendant une évaluation du système de cartes jaunes, tel que susmentionné, nous abordons finalement les mesures spécifiques que le comité appuie à l'heure actuelle.

Premièrement, nous préconisons de continuer à utiliser le formulaire de renseignements sur le voyageur et de mettre l'accent sur les régions touchées par des maladies comme le SRAS. Ce formulaire constitue une bonne solution de rechange aux manifestes des lignes aériennes et peut être utile pour retracer les contacts. Il reste encore à déterminer si les résultats obtenus au fil du temps en justifient l'utilisation continue.

Deuxièmement, nous favorisons une augmentation du nombre d'agents de quarantaine qui peuvent enseigner au personnel des aéroports, aux douaniers et au personnel des lignes aériennes à reconnaître la maladie et à prendre les mesures nécessaires pour contenir le risque. Une collaboration étroite avec les autorités aéroportuaires et le personnel des lignes aériennes pour clarifier leurs responsabilités et rehausser leur compréhension de ces problèmes est également logique.

Troisièmement, nous pensons que les formulaires de l'ADRC pourraient être modifiés de manière à insister sur le fait que les formulaires à l'arrivée avisent les voyageurs de signaler promptement tous leurs antécédents de voyage à un médecin s'ils tombent malades après leur arrivée.

Quatrièmement, même si les systèmes de cartes officiels pour le dépistage s'avèrent injustifiables, nous croyons qu'on pourrait systématiquement remettre aux voyageurs, au départ et à l'arrivée, de l'information sur la santé des voyageurs. Ils pourraient être référés au site Web du même nom qui présenterait les risques pour la santé dans différentes parties du monde ainsi que la réglementation et les procédures canadiennes pertinentes. Ces documents pourraient être modifiés rapidement à mesure que le tableau réel de la morbidité change. S'il y avait un problème de santé, on pourrait également conseiller aux passagers de s'auto-identifier auprès des douaniers qui pourraient, à leur tour, les orienter vers les agents de quarantaine. Il faudra cependant se pencher sur la mesure dans laquelle ce type de système pourrait s'étendre au-delà des aéroports et être appliqué aux points d'entrée au Canada par transport terrestre er maritime.

En conclusion, Madame la Ministre, les voyages internationaux rapides et la biologie des maladies infectieuses signifient que certaines affections contagieuses continueront d'être importées au Canada. Nous croyons qu'il est très important de sensibiliser davantage la population et de renforcer la capacité d'intervention des services de santé publique locaux et des systèmes de santé afin qu'ils puissent identifier et retenir les personnes à risque. De meilleures mesures pour aider à retracer les voyageurs en provenance de régions à risque après leur arrivée seraient aussi utiles. Nous conseillons au gouvernement d'explorer la mise au point de produits d'information rationalisés et souples pour tous les voyageurs. Les mesures existantes pour le dépistage du SRAS chez les voyageurs doivent être évaluées le plus tôt possible. Si nous ne disposons pas d'une solide base de données pour appuyer d'autres méthodes de dépistage d'une maladie précise ou des solutions technologiques au problème, il est peu probable que le dépistage général par les formulaires de l'ADRC sera utile.

Veuillez agréer, Madame la Ministre, nos salutations distinguées.

 

__________________, président
Au nom du Comité consultatif national sur le SRAS et la santé publique

Détails de la page

Date de modification :