Maladies chroniques au Canada

Volume 31, no 2, mars 2011

Compte-rendu de colloque : Rôle des revues scientifiques dans la recherche interventionnelle en santé des populations

M. Tracy, M.A. (1); S. Viehbeck, Ph. D. (c) (2); E. Cohen, M. Sc. (2) 1. Agence de la santé publique du Canada 2. Instituts de recherche en santé du Canada – Institut de la santé publique et des populations

Aperçu du colloque

Les 29 et 30 novembre 2010 à Toronto (Ontario), l’Institut de la santé publique et des populations (ISPP) des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et ses partenaires ont tenu un colloque international sur l’avancement de la recherche interventionnelle en santé des populations, dans le but de promouvoir la santé et l’égalité en matière de santé. Cette rencontre a rassemblé plus de 130 participants venant des gouvernements fédéral et provinciaux, d’universités, d’organismes de financement de la recherche canadiens et internationaux ainsi que d’organisations non gouvernementales comme l’Organisation nationale de la santé autochtone et le Centre canadien de politiques alternatives. Ont assisté aussi à la rencontre des représentants venus des États-Unis (US Centers for Disease Control and Prevention, US National Cancer Institute), du Royaume-Uni (Population Health Sciences Research Network du Medical Research Council), d’Australie (National Health and Medical Research Council) et de France (Institut National du Cancer).

L’objectif du colloque était de favoriser les discussions et d’approfondir la compréhension de la recherche interventionnelle en santé des populations en réunissant chercheurs, décideurs et rédacteurs scientifiques de revues. C’est à ce titre que des membres de l’équipe de rédaction de Maladies chroniques au Canada (MCC) ont assisté au colloque, afin de clarifier le positionnement de la revue dans ce domaine. En effet, depuis trois ans, MCC élargit son champ de publication, allant des recherches épidémiologiques pures à des recherches sur les interventions en santé des populations et la promotion de la santé.

Qu’est-ce que la recherche interventionnelle en santé des populations?

La recherche interventionnelle en santé des populations analyse les politiques, les programmes et les activités qui influent sur les déterminants « en amont » du secteur de la santé, y compris des interventions conçues à d’autres fins et ayant une incidence sur la santé. Elle privilégie la prévention de la maladie et propose des solutions pour résorber les inégalités en matière de santé.

Même si l’étude des interventions en santé des populations n’est pas véritablement nouvelle, elle a suscité relativement peu de publications, surtout comparativement à la recherche descriptive. Selon une étude effectuée au Royaume-Uni, moins de 0,4 % de la recherche en santé publique se rapportait à des interventions1. Une situation similaire a été constatée dans des domaines importants de la prévention des maladies chroniques2. Avec la mise sur pied de l’Initiative de recherche interventionnelle en santé des populations du Canada (IRISPC), l’ISPP des IRSC et ses partenaires tentent de renforcer l’importance de ce type de recherche – ce dont le colloque a rendu compte – en essayant d’accroître la capacité de financement, de réalisation et d’utilisation de projets dans ce domaine. Non seulement l’ISPP et l’Institut de la nutrition, du métabolisme et du diabète prennent fait et cause pour ce type de recherche par l’intermédiaire de l’IRISPC, mais d’autres instituts des IRSC, des institutions caritatives œuvrant en santé et certains ministères fédéraux sont également partie prenante. Comme Marie DesMeules de l’Agence de la santé publique du Canada (ASPC) l’a mentionné lors de son intervention, intitulée Shifting Gears: Accelerating Innovative and Promising Interventions, la recherche interventionnelle en santé des populations nécessite des relations de travail efficaces entre gouvernements et ministères.

Exemples de recherche interventionnelle en santé des populations

Ce colloque a donné l’occasion aux chercheurs de présenter différentes facettes de la recherche interventionnelle actuelle en santé des populations. Par exemple, l’intervention de Geoffrey Fong portait sur le Projet international d’évaluation de la lutte antitabac, qui touche 20 pays et inclut 16 modèles de financement. Le projet vise à vérifier si les politiques en matière de lutte antitabac permettent effectivement d’atténuer les inégalités actuelles. À une autre échelle, Evelyn Forget a présenté une étude comparant deux collectivités du Manitoba pendant les années 1970, l’une seulement bénéficiant d’un revenu minimum garanti. Dans cette dernière, les taux d’hospitalisations liées aux accidents, aux blessures et aux maladies mentales ont chuté, ce qui laisse penser que des interventions extérieures au secteur de la santé peuvent avoir des effets positifs sur la santé.

Les « expériences naturelles » – au cours desquelles les chercheurs ne décident ni de la nature de l’intervention, ni du calendrier de sa mise en œuvre, ni des personnes qui y seront exposées3 - offrent des possibilités exceptionnelles pour la recherche interventionnelle en santé des populations. Patricia Martens a affirmé que le récit de ces expériences captive l'imagination des décideurs. Quoiqu'elles puissent être analysées à l'aide de divers modèles conceptuels, il fut surtout discuté au cours des deux journées de colloque de la pertinence (ou de la non pertinence) de recourir à des essais contrôlés randomisés (ECR) pour les étudier. Certains intervenants ont en effet avancé que, malgré leur validité interne, les ECR conviendraient peu à l’étude des interactions entre les interventions et le contexte de leur mise en œuvre. Or, dans les projets de recherche interventionnelle en santé des populations, le contexte des déterminants sociaux de la santé est d’une importance capitale. C’est ce que Jim Dunn a illustré en prenant trois exemples d’expériences naturelles effectuées dans le contexte de la recherche sur le logement et la santé, dont une étude sur la rénovation de logements de Regent Park à Toronto. Une équipe multidisciplinaire de chercheurs, de groupes communautaires, de locataires et d’organismes gouvernementaux travaillent de concert à l’étude de cette expérience naturelle au fur et à mesure de son déroulement.

Lignes directrices relatives à l’examen par les pairs

Les projets de recherche interventionnelle en santé des populations peuvent englober divers modèles conceptuels, méthodologies et disciplines, et être réalisés à différentes étapes de l’élaboration ou de la mise en œuvre d’une politique ou d’un programme. Par conséquent, les évaluateurs ont besoin de lignes directrices spécifiques quant aux critères d’évaluation de ce type de projets, ainsi que de précisions quant à la manière de les appliquer. L’ISPP des IRSC élabore actuellement, à l'intention des évaluateurs de demandes de subventions, des lignes directrices relatives à l'évaluation par les pairs. Un évaluateur peut par exemple être amené à déterminer si les chercheurs ont tenu compte des questions de transfert des connaissances, de participation des décideurs ou de rentabilité. Il doit également s'assurer que la recherche comme les interventions en santé des populations ont respecté les principes d'éthique, dont l'équité.

Le rôle des revues à comité de lecture en recherche interventionnelle en santé des populations

Les revues en santé publique jouent un rôle important dans la diffusion des connaissances en favorisant la publication d’articles de recherche interventionnelle en santé des populations évalués par les pairs. Les articles publiés dans des revues à comité de lecture sont habituellement répertoriés et l’information qui s’y trouve peut donc être repérée dans la « littérature grise », ce qui facilite l’accès aux résultats de recherche. Les lignes directrices élaborées par l’ISPP des IRSC à l'intention des évaluateurs de demandes de subventions pourraient être adaptées par les revues scientifiques à leur propre processus d'évaluation par les pairs. (La liste des questions envoyée aux évaluateurs de MCC n’offre en effet actuellement que peu de directives, voire aucune, à propos de critères spécifiques applicables à l’évaluation d’articles en recherche interventionnelle en santé des populations). Cela permettrait à l’équipe de ces revues de mieux soutenir la recherche interventionnelle en santé des populations, en recrutant des rédacteurs scientifiques capables d’évaluer les articles de recherche de ce type, en choisissant des évaluateurs compétents et en adoptant des lignes directrices spécifiques facilitant l’évaluation des manuscrits par les pairs. Grâce à l’IRISPC et à une collaboration continue avec l’ISPP des IRSC, la revue MCC est très bien placée pour jouer ce rôle.

Références

  1. ^Milward L, Kelly M, Nutbeam D. Public health intervention research: the evidence. London: Health Development Agency; 2001.
  2. ^Sanson-Fisher RW, Campbell EM, Htun AT, Bailey LJ, Millar C. We are what we do: Research outputs for public health. Am J Prev Med. 2008; 3:280-5.
  3. ^Petticrew M, Cummins S, Ferrell C, Findlay A, Higgins C, Hoy C, et al. Natural experiments: an underused tool for public health? Public Health. 2005;119:751-7.

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