Maladies chroniques au Canada

Volume 31, no 1, décembre 2010

Risque de maladies cardiovasculaires en fonction des profils plasmatiques d’apolipoprotéines et de lipides chez une communauté des Premières nations du Canada*

N. D. Riediger, M. Sc. (1); S. G. Bruce, Ph. D. (1); T. K. Young, M.D., Ph. D. (2)

https://doi.org/10.24095/hpcdp.31.1.06f

* Cet article fait l’objet d’une publication conjointe par Preventing Chronic Disease et Maladies chroniques au Canada. Preventing Chronic Disease en est le premier éditeur, Maladies chroniques au Canada le second. La publication originale est : Riediger ND, Bruce SG, Young TK. Cardiovascular risk according to plasma apolipoprotein and lipid profiles in a Canadian First Nation. Prev Chronic Dis 2011;8(1). Consultable en ligne à la page : http://www.cdc.gov/pcd/issues/2011/jan/09_0216.htm 

Rattachement

  1. Université du Manitoba, Winnipeg (Manitoba) Canada
  2. Université de Toronto, Toronto (Ontario) Canada

Correspondance : Natalie D. Riediger, M. Sc., Université du Manitoba, bureau S113, Medical Services Bldg, 750 Bannatyne Ave, Winnipeg (Manitoba) Canada R3E 0W3; tél. : 204-975-7745; courriel : umriedin@cc.umanitoba.ca

Résumé

Introduction : Bien que le lourd fardeau du diabète chez les membres des Premières nations du Canada soit un fait connu, on en sait peu sur le risque de maladies cardiovasculaires auquel ce groupe est exposé. Notre objectif était de décrire le profil apolipoprotéique des membres d'une communauté canadienne des Premières nations et l'incidence de celui-ci sur le risque de maladies cardiovasculaires.

Méthodologie : En 2003, un échantillon représentatif d'adultes d'une Première nation du Manitoba (N = 483) a participé à une étude de dépistage du diabète et des complications associées à cette maladie, dans le cadre de laquelle les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires des participants ont été évalués.

Résultats : Soixante pour cent des femmes présentaient un risque cardiovasculaire accru associé à de faibles concentrations d'apolipoprotéines A1 (apo A1), comparativement à 35 % des hommes. La proportion de femmes chez lesquelles on a relevé de faibles concentrations d'apo A1 diminuait avec l'âge, mais la proportion chez lesquelles de faibles taux de lipoprotéines de haute densité ont été relevés était stable dans tous les groupes d'âge. L'apo B et l'apo A1 étaient toutes deux significativement corrélées à l'obésité, une fois contrôlées les variables liées à l'âge, au sexe, à la pression artérielle diastolique, au taux d'homocystéine, au diabète et à l'insulinorésistance.

Conclusion : Les profils apolipoprotéique et lipidique de cette population des Premières nations semblent indiquer un risque de maladies cardiovasculaires élevé. Les recherches à venir devraient viser à définir la dimension des particules de lipoprotéines chez cette population.

Mots clés : cardiovasculaire, santé communautaire, diabète, épidémiologie, obésité, dépistage, minorité, Première nations, Indiens d’Amérique du Nord

Introduction

Au cours des dernières années, la prévalence des maladies cardiovasculaires chez les Autochtones du Canada a augmenté et est maintenant plus élevée que chez les non-Autochtones. Dans un échantillon randomisé d’Autochtones canadiens, la prévalence des maladies cardiovasculaires était de 18 %, comparativement à 8 % chez les Canadiens de descendance européenne1a.

L’apolipoprotéine A1 (apo A1) est le principal constituant des lipoprotéines de haute densité (HDL), tandis que l’apo B est l’une des principales protéines composant les lipoprotéines de très basse densité, les lipoprotéines de basse densité (LDL) et les lipoprotéines de densité intermédiaire. En raison de leur association respective avec ces lipoprotéines, l’apo A1 est inversement corrélée au risque de maladies cardiovasculaires, alors que l’apo B l’est positivement2. Les données semblent d’ailleurs indiquer que l’apo A1 et l’apo B sont de meilleurs prédicteurs de risque de maladies cardiaques que le cholestérol HDL et le cholestérol LDL3-5a. Les mesures des apolipoprotéines pourraient également offrir des avantages par rapport à celle des lipoprotéines, puisqu’elles sont mesurées directement, contrairement au cholestérol LDL, par exemple, qui doit être mesuré à partir d’autres lipoprotéines à l’aide d’un échantillon sanguin prélevé à jeun.

Malgré les taux élevés de diabète et de maladies cardiovasculaires chez les Autochtones canadiens, peu de chercheurs se sont aventurés au-delà de l’examen des facteurs de risque classiques. De plus, les recherches étaient généralement fondées sur l’analyse des dossiers, et les quelques études en population qui ont été réalisées étaient limitées à une seule communauté des Premières nations6-8. Notre objectif était de décrire le profil apolipoprotéique et ses liens avec les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires chez une communauté des Premières nations.

Méthodologie

La présente étude s’est appuyée sur des données recueillies dans le cadre d’une vaste étude de dépistage portant sur les complications associées au diabète9a. L’échantillon, composé de 483 hommes et femmes d’une communauté des Premières nations du Manitoba, était représentatif en ce qui a trait à l’âge et au sexe. Les participants admissibles (n = 1 356) étaient des hommes et des femmes (non enceintes) de 18 ans ou plus, possédant le statut d’Indien inscrit et vivant dans la communauté. Celle-ci se situe à environ 200 km au nord-ouest de Winnipeg (Manitoba). L’étude a été réalisée entre janvier et décembre 2003, et les données pour chacun des participants ont été recueillies au cours de la même journée. Les détails au sujet de l’étude sont décrits ailleurs9b. Cette étude a été approuvée par le conseil d’éthique de la recherche en santé de l’Université du Manitoba.

Une infirmière autorisée a prélevé des échantillons de sang à jeun, à partir desquels les concentrations plasmatiques en glucose, en insuline, en triglycérides, en cholestérol HDL, en cholestérol LDL, en cholestérol total, en apo B totale et en apo A1 ont été mesurées. L’infirmière a également mesuré la pression artérielle, le taux d’albumine et de créatinine dans les urines, et les caractéristiques anthropométriques de chaque participant9c. Nous avons utilisé le modèle d’évaluation homéostatique (HOMA), qui permet, à partir des mesures de glucose et d’insuline, d’évaluer l’insulinorésistance en appliquant la formule suivante : (insuline [pmol] × 0,139) × (glucose [mmol/L]/22,5). Les facteurs de risque évalués dans cette étude figurent au tableau 1.

Tableau 1
Facteurs de risque évalués dans une étude sur les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires réalisée auprès d’une communauté des Premières nations du Canada, 2003
Facteur de risque Définition
Hommes Femmes
Obésité IMC ≥ 30,0 kg/m2
TT associé à un risque élevé TT> 102 cm TT > 88 cm
Diabète Diagnostic autodéclaré, prise d’un hypoglycémiant oral ou glycémie à jeun ≥ 7,0 mmol/L
Hypertension Diagnostic autodéclaré, PAS > 140 mm Hg ou PAD > 90 mm Hg
Dyslipidémie TG plasmatiques à jeun ≥ 1,7 mmol/L et cholestérol HDL plasmatique à jeun ≤ 1,03 mmol/L TG plasmatiques à jeun ≥ 1,7 mmol/L et cholestérol HDL plasmatique à jeun ≤ 1,3 mmol/L
Microalbuminuriea RAC > 2,0 mg/mmol RAC > 2,8 mg/mmol
Syndrome métabolique Critères du Adult Treatment Panel III10
Risque cardiométabolique TT à risque et TG plasmatiques ≥ 1,7 mmol/L
Apo A1 faible ApoA1 < 1,07 g/L ApoA1 < 1,22 g/L
Apo B élevée ApoB > 1,2 g/L
Rapport apo B-apo A1 élevé5b > 0,8 > 0,7

Abréviations : IMC, indice de masse corporelle; TT, tour de taille; PAS, pression artérielle systolique; PAD, pression artérielle diastolique; TG, triglycérides; HDL, lipoprotéines de haute densité; RAC, rapport albumine-créatinine; apo, apolipoprotéine.

a Déterminé à l’aide du Bayer DCA 2000 point-of-care analyzer (Elkhart, Indiana).

Toutes les données ont été analysées à l’aide du logiciel SPSS version 16.0 pour Windows (IBM, Chicago, Illinois). Nous avons comparé les concentrations plasmatiques en lipides à l’aide du test t et du test U de Mann-Whitney (non paramétrique). Pour les variables qui ne suivent pas une distribution normale ou pour les cas de variance inégale, nous avons comparé les différences entre les concentrations en apolipoprotéines pour chaque facteur de risque de maladies cardiovasculaires à l’aide du test t et du test U de Mann-Whitney. Nous avons utilisé le test χ2 pour déceler les différences entre les risques de maladies cardiovasculaires pour chaque catégorie d’apolipoprotéine. Les tests étaient bilatéraux, et les valeurs p < 0,05 ont été jugées significatives. Afin de déterminer les tendances linéaires pour les valeurs moyennes d’apolipoprotéines de chaque groupe d’âge, nous avons utilisé l’analyse de variance à un facteur avec contraste linéaire. Nous avons estimé les rapports de cote pour l’obésité à l’aide du modèle de régression logistique multivariée descendante. Nous avons inclus, dans le modèle, des variables qui avaient été significativement corrélées avec l’obésité au moyen d’analyses bivariées. Ces variables étaient l’âge, le sexe, le tabagisme (présent ou passé), la pression artérielle systolique et diastolique, le diabète, le taux de triglycérides, les concentrations d’apo A1 et d’apo B, l’insulinorésistance, le taux d’homocystéine et la microalbuminurie.

Résultats

Le risque de maladies cardiovasculaires chez la population à l’étude était élevé si l’on se fie aux facteurs de risque classiques tels que les taux de cholestérol HDL et de triglycérides (tableau 2). Les taux d’obésité, de diabète, d’hypertension et de microalbuminurie étaient également élevés (tableau 3).

Tableau 2
Concentrations plasmatiques en lipides chez 483 adultes d’une communauté des
Premières nations du Canada, 2003
Lipidesa Hommes (n = 230), moyenne (ET) Femmes (n = 253), moyenne (ET) Valeur pb Hommes et femmes, moyenne (ET)
Triglycérides, mmol/L 2,3 (2,5) 2,1 (2,0) 0,86 2,2 (2,3)
1,7 (1,1-2,6)c 1,7 (1,2-2,5)c 1,7 (1,2-2,6)c
Cholestérol LDL, mmol/L 2,9 (0,9) 2,6 (0,9) < 0,001 2,7 (0,9)
Cholestérol HDL, mmol/L 1,2 (0,3) 1,2 (0,3) < 0,04d 1,2 (0,3)
Cholestérol total, mmol/L 5,0 (1,2) 4,8 (1,1) 0,07 4,9 (1,2)

Abréviations : ET, écart-type; LDL, lipoprotéines de basse densité; HDL, lipoprotéines de haute densité.

a Les taux moyens de cholestérol LDL et de cholestérol total sont indiqués, même si ces valeurs ne font pas partie de la définition de la dyslipidémie, puisque leur niveau recommandé varie en fonction d’autres facteurs de risque (http://www.cfpc.ca/French/cfpc/programs/patient%20education/cholesterol/default.asp ).

b Test t indépendant utilisé pour déterminer les différences entre les sexes, à moins d’indication contraire.

c Les données présentées sont une médiane (intervalle interquartile) en raison de la distribution asymétrique; analyse statistique réalisée à l’aide du test de Mann-Whitney.

d Test de Mann-Whitney (variances inégales).

Tableau 3
Concentrations plasmatiques d’apolipoprotéines selon le sexe et les facteurs de risque de maladies cardiovasculaires chez 483 adultes d’une communauté des Premières nations du Canada, 2003a
Caractéristiqueb n (%) ApoB (g/L) Valeur p ApoA1 (g/L) Valeur p ApoB:ApoA1 Ratio Valeur p
Sexe
Hommes 230 (48) 0,94 (0,28) 0,046 1,14 (1,03-1,23)c 0,004d 0,84 (0,63-1,02)c 0,001d
Femmes 253 (52) 0,89 (0,26) 1,17 (1,05-1,31)c 0,75 (0,59-0,91)c
Obésité
Oui 265 (56) 0,97 (0,96) < 0,001 1,13 (0,17) < 0,001 0,87 (0,24) < 0,001
Non 204 (44) 0,83 (0,79) 1,20 (0,19) 0,71 (0,24)
Tour de taille associé à un risque
Oui 313 (68) 0,96 (0,26) < 0,001 1,15 (0,18) 0,006 0,85 (0,25) < 0,001
Non 151 (32) 0,82 (0,26) 1,20 (0,18) 0,70 (0,23)
Diabète
Oui 140 (29) 1,05 (0,29) < 0,001 1,16 (0,19) 0,92 0,91 (0,26) < 0,001
Non 343 (71) 0,86 (0,25) 1,17 (0,18) 0,75 (0,23)
Hypertension
Oui 201 (43) 0,99 (0,28) < 0,001 1,18 (0,19) 0,10 0,85 (0,27) < 0,001
Non 271 (57) 0,86 (0,25) 1,15 (0,18) 0,76 (0,23)
Microalbuminurie
Oui 94 (20) 1,01 (0,81-1,26)c < 0,001d 1,15 (0,17) 0,49 0,90 (0,26) < 0,001
Non 372 (80) 0,86 (0,68-1,05)c 1,17 (0,18) 0,77 (0,24)
Risque cardiométabolique
Oui 212 (45) 1,05 (0,25) < 0,001 1,16 (0,19) 0,54 0,93 (0,24) < 0,001
Non 255 (55) 0,80 (0,23) 1,17 (0,18) 0,70 (0,21)
Dyslipidémie
Oui 155 (32) 1,03 (0,90-1,19)c < 0,001d 1,07 (0,98-1,18)c < 0,001d 0,98 (0,23) < 0,001
Non 328 (68) 0,81 (0,65-1,01)c 1,19 (1,09-1,31)c 0,72 (0,22)
Syndrome métabolique
Oui 252 (53) 1,02 (0,26) < 0,001 1,13 (0,17) < 0,001 0,91 (0,75-1,05)c < 0,001d
Non 223 (47) 0,80 (0,23) 1,20 (0,18) 0,64 (0,53-0,80)c

Abréviations : apo, apolipoprotéine.

a Les valeurs présentées pour l’apo A1 et l’apo B et le rapport apo B-apo A1 sont une moyenne (écart-type), et les différences ont été évaluées à l’aide du test t sur des échantillons indépendants, à moins d’indication contraire.

b Les définitions des caractéristiques figurent au tableau 1. Les données pour certaines caractéristiques n’étaient pas disponibles pour certains participants.

c Les données présentées sont une médiane (intervalle interquartile) en raison de la distribution asymétrique.

d Test U de Mann-Whitney (non paramétrique).

Il y avait significativement plus de femmes que d’hommes (60 % c. 35 %; p < 0,001) qui présentaient des concentrations d’apo A1 associées à un risque de maladies cardiovasculaires. Près de 18 % des hommes et 12 % des femmes avaient des concentrations d’apo B associées à un risque de maladies cardiovasculaires, mais la différence n’était pas significative. La proportion des participants dont le rapport apo B-apo A1 révélait un risque accru était de 54 % chez les hommes et de 57 % chez les femmes, mais cette différence n’a pas atteint le seuil de signification.

Les concentrations moyennes d’apo B et le rapport apo B-apo A1 étaient significativement plus élevés chez les hommes et chez les participants présentant un quelconque facteur de risque cardiovasculaire (tableau 3). Les concentrations moyennes d’apo A1 étaient moins élevées chez les patients présentant la plupart des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires, mais l’écart n’a pas atteint le seuil de signification chez les patients souffrant de diabète, d’hypertension ou de microalbuminurie, ou ayant des risques cardiométaboliques.

Le risque de maladies cardiovasculaires tendait à augmenter avec l’âge (tableaux 4 et 5). Chez les hommes, nous avons observé une tendance linéaire significative dans l’association entre l’âge et le taux d’apo B et le rapport apo B-apo A1. Nous avons également noté une tendance linéaire positive significative dans l’association entre l’âge des femmes et le taux d’apo B et le rapport apo B-apo A1. Inversement, le risque de maladies cardiovasculaires en fonction du taux d’apo A1 diminuait avec l’âge chez les femmes, et les concentrations moyennes d’apo A1 augmentaient avec l’âge. Chez les femmes, les taux de cholestérol HDL n’ont ni augmenté ni diminué de façon significative avec l’âge (données non présentées).

Tableau 4
Concentrations plasmatiques d’apolipoprotéines selon le sexe et l’âge chez 481a adultes d’une communauté des Premières nations du Canada, 2003
Sexe et âge (ans) moyenne (ET) apo B Valeur pb moyenne (ET) apo A1 Valeur pb moyenne (ET) rapport apoB apo A1 Valeur pb
Hommes (n = 229)
18-29 (n = 72) 0,79 (0,26) < 0,001 1,12 (0,14) 0,12 0,71 (0,25) < 0,001
30-39 (n = 65) 0,95 (0,25) 1,14 (0,15) 0,85 (0,25)
40-49 (n = 49) 1,09 (0,26) 1,13 (0,16) 0,97 (0,24)
<= 50 (n = 43) 1,01 (0,25) 1,17 (0,17) 0,88 (0,24)
Femmes (n = 252)
18-29 (n = 70) 0,78 (0,24) < 0,001 1,15 (0,20) 0,03 0,69 (0,22) 0,001
30-39 (n = 78) 0,89 (0,22) 1,20 (0,17) 0,75 (0,21)
40-49 (n = 59) 0,96 (0,27) 1,21 (0,21) 0,81 (0,25)
<= 50 (n = 45) 0,99 (0,29) 1,22 (0,22) 0,83 (0,28)

Abréviations : é.-t., écart-type; apo, apolipoprotéine.

a L’échantillon sanguin de deux participants était insuffisant pour évaluer la concentration en apo A1 et en apo B; les autres lipides plasmatique (cholestérol total, cholestérol LDL, cholestérol HDL et triglycérides) ont été mesurés en priorité.

b Analyse de la variance avec contraste linéaire.

Tableau 5
Adultes d’une communauté des Premières nations du Canada à risque de maladies cardiovasculaires en fonction des concentrations plasmatiques d’apolipoprotéines, 2003 (N = 481)a
Sexe et âge (ans) n (%) apoB Valeur pb n (%) apo A1 Valeur pb n (%) rapport apo B-apo A1 Valeur pb
Hommes (n = 229)
18-29 (n = 72) 5 (7) 0,003 25 (35) 0,87 20 (29) < 0,001
30-39 (n = 65) 10 (15) 24 (37) 37 (57)
40-49 (n = 49) 15 (31) 18 (37) 40 (82)
<= 50 (n = 43) 10 (23) 14 (33) 25 (58)
Femmes (n = 252)
18-29 (n = 70) 5 (7) 0,006 52 (74) 0,006 30 (43) 0,01
30-39 (n = 78) 6 (8) 43 (55) 45 (58)
40-49 (n = 59) 10 (17) 37 (63) 38 (65)
<= 50 (n = 45) 10 (22) 20 (44) 29 (64)

Abréviations : apo, apolipoprotéine.

a Les seuils de coupure pour le risque de maladies cardiovasculaires accru sont présentés dans le tableau 1. L’échantillon sanguin de deux participants était insuffisant pour évaluer la concentration en apo A1 et en apo B; les autres lipides du plasma (cholestérol total, cholestérol LDL, cholestérol HDL et triglycérides) ont été mesurés en priorité.

b Test χ2 avec association linéaire.

Dans les cas d’obésité, le modèle logistique final a inclus l’âge, le sexe, la pression artérielle diastolique, la présence ou non de diabète, le taux d’homocystéine, l’insulinorésistance et les concentrations d’apo A1 et d’apo B. Un sujet chez qui la concentration d’apo A1 était de 1,14 g/l était 1,2 fois plus susceptible d’être obèse qu’un sujet chez qui la concentration d’apo A1 était de 1,20 g/l. De plus, la probabilité d’obésité était 1,35 fois plus élevée pour un sujet chez qui la concentration en apo B était de 1,00 g/l que pour une personne chez qui cette concentration était de 0,80 g/l.

Analyse

Le risque de maladies cardiovasculaires est élevé chez les membres des Premières nations du Canada, si l’on se fie aux profils plasmatiques de lipides et d’apolipoprotéines. Les concentrations plasmatiques en apolipoprotéines anormales qui ont été relevées concordent avec la prévalence de l’obésité et du diabète dans cette communauté. En règle générale, les taux de cholestérol HDL et d’apo A1 des participants étaient bas, tandis que leur taux de triglycérides était élevé, ce qui est normalement le cas chez les personnes insulinorésistantes.

Le profil lipidique moyen de la communauté à l’étude différait considérablement de celui de la population des É.-U. en général11, vraisemblablement en raison de la prévalence élevée du diabète dans ce groupe. Par exemple, les taux plasmatiques moyens de cholestérol LDL des participants de la présente étude étaient moins élevés que ceux des participants de la NHANES *, et ce, pour les deux sexes. Cependant, les taux plasmatiques de cholestérol HDL étaient moins élevés et les taux plasmatiques de triglycérides étaient beaucoup plus élevés chez les sujets de notre étude que dans la population américaine en général. Comparativement aux Aborigènes d’Australie et aux habitants du détroit de Torres12, les taux de triglycérides chez les participants de la présente étude étaient légèrement inférieurs et les taux de cholestérol HDL, légèrement supérieurs. Par contre, ces taux sont tout de même pires que ceux des Autochtones crisojibwés, des Inuits et des non-Autochtones du Canada, d’après une étude réalisée au début des années 199013 De plus, les taux de triglycérides et de cholestérol HDL étaient plus élevés, et les taux de cholestérol LDL moins élevés, chez la communauté à l’étude que chez une autre communauté des Premières nations du Canada1b; cependant, les participants de cette autre communauté autochtone étaient âgés de 35 à 75 ans, tandis que ceux de notre étude étaient âgées de 18 ans ou plus (avec une moyenne d’âge de 38 ans). Ni les valeurs lipidiques ni les autres valeurs présentées dans ce paragraphe n’ont été normalisées en fonction de l’âge ou du sexe.

Paradoxalement, la proportion des femmes qui présentaient de faibles concentrations d’apo A1 (associées à un risque de maladies cardiovasculaires élevé) diminuait significativement avec l’âge, et l’on observait une tendance linéaire positive significative dans l’association entre les concentrations moyennes d’apo A1 et l’âge. La variation des concentrations d’apo A1 en fonction de l’âge chez les femmes semble indiquer une prévalence plus élevée de la dyslipidémie chez les jeunes femmes. Cependant, la proportion de femmes affichant un taux de cholestérol HDL associé à un risque élevé est demeurée stable dans tous les groupes d’âge. Pour un même taux de cholestérol HDL, les femmes âgées (≥ 50 ans) présentaient des concentrations d’apo A1 moins élevées que les femmes plus jeunes (< 50 ans). Ce phénomène pourrait s’expliquer par un changement dans la taille des particules de HDL qui se produit chez les groupes d’âge plus avancé, c’est-à-dire que la proportion des petites particules denses de HDL augmente par rapport à celle des particules de HDL de grande taille. Le fait que, dans le cadre de notre étude, la prévalence du diabète augmentait avec l’âge vient appuyer cette explication.

Malgré l’existence vraisemblable d’une prédisposition génétique au diabète et à ses troubles concomitants chez la communauté des Premières nations à l’étude, nous supposons que la majeure partie des cas de dyslipidémie sont attribuables à une mauvaise alimentation et à l’inactivité physique. Par le passé, d’autres communautés autochtones, tels les Inuits du Groenland, présentaient en fait des profils lipidiques plus avantageux que les non-Autochtones, probablement en raison de leur mode de vie traditionnel14. En effet, comparativement à un groupe témoin de Danois, les Inuits affichaient des concentrations d’apo A1 significativement plus élevées et des taux d’apo B, de cholestérol LDL, de cholestérol total et de triglycérides significativement plus bas. Même si les concentrations en apo A1 étaient significativement supérieures chez les Inuits, les taux de cholestérol HDL quant à eux ne l’étaient pas, ce qui porte à croire qu’il pourrait exister des différences (liées à la taille) entre les types de particules de HDL présentes chez ces deux groupes. Il est possible que les Inuits aient un nombre disproportionné de petites particules denses de HDL à caractère athérogène par rapport au nombre de particules de HDL de grande taille, qui sont bénéfiques pour la santé. Nous croyons que cette hypothèse pourrait également s’appliquer à la communauté qui a fait l’objet de notre étude, particulièrement aux femmes. De plus, chez une communauté de la Première nation oji-crie du Canada, même si les concentrations en apo A1 étaient significativement plus basses chez les hommes ayant un tour de taille hypertriglycéridémique, ces concentrations étaient en fait plus élevées, mais de manière non significative, chez les femmes présentant la même caractéristique15. Cette différence quant à l’apo A1 entre les sexes pourrait expliquer, en partie, le fait que les femmes atteintes de diabète sont davantage à risque de coronaropathie que les hommes souffrant de la même maladie16.

Une prépondérance de petites particules denses de LDL et de petites particules de HDL est associée à l’obésité17, à un risque accru de coronaropathie18 et à l’insulinorésistance, qu’il y ait ou non présence de diabète19a. La réduction spécifique des particules de HDL de grande taille (ainsi que l’augmentation possible des particules de HDL de petite taille), ne résultant pas nécessairement en une réduction significative des concentrations en apo A1, pourrait expliquer les faibles taux de cholestérol HDL chez les diabétiques19b. Dans le cadre de notre étude, la forte prévalence du diabète nous a amenés à penser que les faibles taux de cholestérol HDL relevés pouvaient être attribuables à la chute du nombre de particules de HDL de grande taille, particulièrement chez les femmes âgées. De plus, les taux de cholestérol HDL dans les cas d’obésité pourraient être moins élevés chez les femmes que chez les hommes20, et les concentrations en apo A1 pourraient donc également différer entre les deux sexes en réaction à l’obésité.

Les résultats apparemment contradictoires obtenus pour les taux d’apo A1 et de cholestérol HDL pourraient avoir une incidence sur le rôle que jouent l’apo A1 et le rapport apo B-apo A1 dans la prédiction du risque de maladies cardiovasculaires chez cette population. Les recherches à venir devraient viser à déterminer les effets sur la santé cardiovasculaire de la concentration d’apo A1 et du rapport apo B-apo A1 chez les Autochtones souffrant de diabète. Le rapport apo B-apo A1 s’est révélé un facteur prédictif du syndrome métabolique chez les participants non obèses, mais pas chez les participants obèses21. Cela pourrait s’expliquer par le fait que les personnes obèses sont davantage sujettes au diabète. Les valeurs moyennes pour l’apo A1 relevées chez les participants diabétiques de la communauté à l’étude étaient pratiquement identiques à celles des patients non diabétiques, mais les taux moyens de cholestérol HDL étaient significativement inférieurs chez les participants atteints de diabète. Cette constatation vient appuyer l’hypothèse selon laquelle le profil de HDL des membres de cette communauté est essentiellement composé de particules de petite taille, ce qui maintiendrait les taux plasmatiques de HDL peu élevés mais ferait augmenter les concentrations d’apo A1.

Notre étude comporte plusieurs limites. Même si nous ne sommes pas en mesure de déterminer si l’échantillon était entièrement représentatif de la population, nous pouvons affirmer qu’il l’était sur le plan de l’âge et du sexe, et qu’il n’était pas constitué de sujets affichant le pire état de santé. Seuls 105 des 275 membres de la communauté ayant préalablement reçu un diagnostic de diabète ont participé à l’étude. De plus, seulement 3 des 10 membres de la communauté ayant subi une amputation et aucun des 15 membres souffrant d’insuffisance rénale terminale ont collaboré avec nous. Nous n’avons pas évalué la taille des particules de lipoprotéines ni la répartition de la taille des particules selon le type de lipoprotéine. En raison de la nature transversale des données, nous n’avons pu produire aucun résultat en terme d’équation.

En conclusion, les profils plasmatiques des lipides tout comme ceux des apolipoprotéines chez les membres de la communauté à l’étude révèlent un risque de maladies cardiovasculaires élevé. La majeure partie du risque est attribuable au nombre élevé de personnes souffrant de diabète et d’obésité et à la modification du profil lipoprotéique associée à ces facteurs. Il nous faut davantage de données sur la taille des particules de lipoprotéines et sur la répartition des particules de HDL et de LDL de petite, moyenne et grande taille afin de confirmer notre hypothèse. Les données préliminaires recueillies peuvent tout de même être utilisées pour orienter les interventions visant à réduire la prévalence des maladies chroniques chez les Autochtones canadiens.

Remerciements

Cette recherche a été appuyée financièrement par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et le Conseil manitobain de la recherche en matière de santé. Natalie Riediger est titulaire d’une bourse d’études doctorales des Instituts de recherche en santé du Canada.

Références

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