Relevé des maladies transmissibles au Canada

1 janvier 2008

Volume 34
numéro 01

Absence de souche de Neisseria gonorrhoeae prolyliminopeptidase-négative en Ontario, au Canada

S Brown, BA, MLT (1), P Rawte, BSc, Ms, MLT, MIBMS (1), L Towns, MLT (1), F Jamieson, MD, FRCPC (1), RSW Tsang, M Med Sc, PhD (2)

  1. Ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario, Laboratoire central de santé publique, Etobicoke, Ontario, Canada.
  2. Laboratoire des Neisseria pathogènes, Laboratoire national de microbiologie, Agence de la santé publique du Canada, Winnipeg, Manitoba, Canada.

Contexte

Trois méthodes sont couramment employées pour l'identification des coccis Gram négatif à oxydase positive et à catalase positive tels que Neisseria gonorrhoeae en culture. La méthode la plus classique est basée sur l'utilisation des sucres ou la production d'acide dans le milieu CTA (cystine trypticase agar) additionné de sucres(1). Des méthodes plus récentes et rapides ont été mises au point : utilisation d'un anticorps monoclonal pour détecter des épitopes spécifiques sur les protéines de la membrane externe de N. gonorrhoeae ainsi que des épreuves biochimiques pour détecter une enzyme préformée telle que la prolyliminopeptidase (aussi connue sous le nom de proline iminopeptidase, ou PIP), qu'on croit présente chez toutes les souches de N. gonorrhoeae(2,3). Des sondes d'ADN peuvent aussi être utilisées en culture pour confirmer l'identité de N. gonorrhoeae(4).

Entre 2000 et 2003, des souches de N. gonorrhoeae PIP-négatives ont fait leur apparition dans plusieurs pays d'Europe (Angleterre et Pays de Galles, Suède, Danemark, Espagne), en Nouvelle-Zélande et en Australie. Par ailleurs, d'après les résultats de la caractérisation phénotypique et génétique des souches de gonocoque PIP-négatives effectuée dans plusieurs pays, une souche unique serait en train de se propager dans le monde(5-10).

Le Laboratoire central de santé publique du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario et le Laboratoire national de microbiologie (LNM) de l'Agence de la santé publique du Canada exercent une surveillance pour détecter l'émergence d'une telle souche de N. gonorrhoeae PIP-négative en Ontario, au Canada. L'étude menée visait à déterminer si une telle souche existe au Canada et à faire savoir aux responsables de la santé publique et aux scientifiques de laboratoire que certaines trousses commerciales sur le marché pourraient ne pas convenir à l'identification des isolats de N. gonorrhoeae PIP-négatifs. Le présent rapport permettra également d'informer les laboratoires qui effectuent l'isolement et l'identification primaires de N. gonorrhoeae que le LNM offre des souches témoins de N. gonorrhoeae PIP-négatives grâce auxquelles ils pourront s'assurer que les méthodes qu'ils utilisent permettent de détecter la souche variante de N. gonorrhoeae.

Méthodologie

Nous avons mesuré l'activité de la PIP avec la trousse commerciale API-NH (Biomérieux Canada Inc., Brampton, Ontario) chez 100 isolats de N. gonorrhoeae sensibles aux antibiotiques (c'est-à-dire sensibles aux antibiotiques utilisés couramment dans le traitement de la gonorrhée, soit la pénicilline, la ceftriaxone, la céfixime, la tétracycline, l'érythromycine, la ciprofloxacine et la spectinomycine) et 100 isolats résistants aux antibiotiques (c'est-à-dire résistants à un ou plusieurs antibiotiques susmentionnés) prélevés en 2006 chez des cas cliniques en Ontario, au Canada. Nous avons aussi mesuré l'activité de la PIP chez 70 des 100 isolats résistants aux antibiotiques au moyen de la trousse Gonochek II (EY Laboratories Inc., San Mateo, Californie, É.-U.).

Le professeur Fernando Vazquez, Area de Microbiologia, Faculté de médecine de l'Université d'Oviedo, à Asturias, en Espagne, a fourni trois souches témoins PIP-négatives. L'identification de ces souches a été vérifiée par une coloration de Gram, la croissance sur le milieu Thayer-Martin modifié, les tests de l'oxydase et de la catalase, l'utilisation des sucres en milieu CTA et le Phadebact Monoclonal GC Test (Boule Diagnostics AB, Suède). Le déficit en PIP chez ces souches a été confirmé au moyen de deux trousses commerciales : API-NH et Gonochek II.

Résultats et analyse

L'identification exacte des pathogènes infectieux transmissibles sexuellement est important pour le contrôle global des maladies transmises sexuellement. De nombreux laboratoires utilisent maintenant des trousses pour identifier N. gonorrhoeae, et certaines de ces trousses (p. ex., API NH, RapID NH et Gonochek II) détectent des enzymes préformés, par exemple la gamma-glutamyl-transférase pour l'identification de N. meningitidis et la PIP pour l'identification de N. gonorrhoeae. Lorsque des isolats de N. gonorrhoeae PIP-négatifs sont testés au moyen de telles trousses, le résultat obtenu peut être faussement négatif, ce qui peut mener à un diagnostic erroné.

Au cours de notre étude de 200 isolats de N. gonorrhoeae provenant de l'Ontario, au Canada, nous n'avons identifié aucune souche PIP-négative, ce qui laisse croire que si de telles souches sont présentes, leur taux de prévalence est < 0,5 %.

C'est en Angleterre, en 2001, qu'on a d'abord signalé une détection accrue d'isolats de N. gonorrhoeae PIP-négatifs(11). En 1991, seuls deux (0,5 %) des 398 isolats de N. gonorrhoeae en culture examinés en Angleterre présentaient un déficit en PIP; cependant, en 2001, 17 isolats PIP-négatifs avaient été identifiés au cours d'une période de 5 semaines, et, en 2004, la prévalence globale des isolats PIP-négatifs déclarés en Angleterre et au Pays de Galles atteignait 4,33 %(5,11,12). Des hausses similaires ont aussi été enregistrées dans d'autres pays : la prévalence se situait à 2 % entre 2002 et 2004 en Nouvelle-Zélande, à 6,9 % dans le nord de l'Espagne entre 2003 et 2006, et à 12,8 % en Australie entre 2002 et 2005(7-9).

La caractérisation en laboratoire des isolats de N. gonorrhoeae PIP-négatifs dans différents pays a révélé qu'un bon nombre des isolats étaient apparentés d'après un certain nombre de marqueurs phénotypiques et génétiques et que, par conséquent, l'isolement d'isolats PIP-négatifs dans différents pays pourrait être lié à une propagation mondiale d'une ou de quelques souches(6,10). Des données épidémiologiques laissent croire également à une possible association entre l'infection par ces souches et les relations sexuelles entre hommes(5,10). Bon nombre des isolats PIP-négatifs étudiés dans ces pays étaient sensibles à la plupart des antibiotiques courants(6,10).

Il est possible qu'aucune souche PIP-négative n'ait été détectée au cours de l'étude parce que les isolats de N. gonorrhoeae PIP-négatifs ont pu ne pas être identifiés au cours de l'isolement primaire en laboratoire : seules les souches typiques PIP-positives auraient ainsi été transmises au Laboratoire central de santé publique de l'Ontario. Il faudra mener d'autres études dans des laboratoires qui effectuent l'isolement primaire et tester des isolats provenant d'autres provinces et de la communauté des hommes ayant des relations sexuelles avec d'autres hommes (HRSH) pour confirmer l'absence de souche de N. gonorrhoeae PIP-négative au Canada. Le LNM offre maintenant aux laboratoires qui effectuent l'isolement et l'identification primaires du gonocoque des souches témoins de N. gonorrhoeae PIP-négatives grâce auxquelles ils pourront s'assurer que leurs méthodes d'analyse permettent d'identifier les souches PIP-négatives.

Conclusion

Une étude sur 200 isolats de N. gonorrhoeae, dont 100 isolats sensibles aux antibiotiques couramment utilisés dans le traitement de la gonorrhée, n'a permis de déceler aucune souche présentant un déficit en PIP. Pour détecter une éventuelle importation ou émergence de gonocoque PIP-négatif au Canada, les laboratoires doivent être vigilants lorsqu'ils identifient N. gonorrhoeae. Selon la recommandation actuelle, il faut utiliser au moins deux méthodes distinctes, par exemple une méthode biochimique (réaction aux sucres, épreuve enzymatique) et une autre méthode (méthode immunologique, méthode basée sur les acides nucléiques) pour l'identification définitive de cette bactérie(13).

Remerciements

Nous remercions Averil Griffith pour le soutien technique qu'elle nous a fourni.

Références

  1. Morella JA, Janda WM, Bohnhoff M. Neisseria and Branhamella. Dans : EH Lennette, A Balows, WJ Hausler, Jr., HJ Shadomy (éds.), Manual of clinical microbiology, 4th ed., American Society for Microbiology, Washington, D.C., 1985;176-92.
  2. Tam MR, Buchanan TM, Samndstrom EG et coll. Serological classification of Neisseria gonorrhoeae with monoclonal antibodies. Infect Immun 1982;36:1042-53.
  3. D'Amato RF, Gough KR, Campbell L et coll. Identification of Neisseria gonorrhoeae and Neisseria meningitides by using enzymatic profiles. J Clin Microbiol 1978;7:77-81.
  4. Janda WM, Wilcoski LM, Mandel KL et coll. Comparison of monoclonal antibody-based methods and a ribosomal ribonucleic acid probe test for Neisseria gonorrhoeae culture confirmation. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 1993;12:177-84.
  5. Alexander S, Martin IMC, Fenton K et coll. The prevalence of proline iminopeptidase negative Neisseria gonorrhoeae throughout England and Wales. Sex Transm Infect 2006;82:280-82.
  6. Fjeldsae-Nielsen H, Unemo M, Fredlund H et coll. Phenotypic and genotypic characterization of prolyliminopeptidase-negative Neisseria gonorrhoeae isolates in Denmark. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2005;24:280-83.
  7. Blackmore T, Hererra G, Siu S et coll. Characterization of prolyl iminopeptidase-deficient Neisseria gonorrhoeae. J Clin Microbiol 2005;43:4189-90.
  8. Limnios EA, Nguyen NL, Ray S et coll. Dynamics of appearance and expansion of a prolyliminopeptidase-negative subtype among Neisseria gonorrhoeae isolates collected in Sydney, Australia, from 2002-2005. J Clin Microbiol 2006;44:1400-04.
  9. Otero I, Alvarez-Arguelles M, Villar H et coll. The prevalence of Neisseria gonorrhoeae negative for proline iminopeptidase in Asturias, Spain. Sex Transm Infect 2007;83:76.
  10. Unemo M, Palmer HM, Blackmore T et coll. Global transmission of prolyliminopeptidase (PIP)-negative Neisseria gonorrhoeae strains – implications for changes in diagnostic strategies? Sex Transm Infect 2007;83:47-51.
  11. Dealler SF, Gough KR, Campbell L et coll. Identification of Neisseria gonorrhoeae using the Neisstrip rapid enzyme detection test. J Clin Pathol 2000;44:376-79.
  12. Health Protection Agency. Prolyliminopeptidase negative isolates of Neisseria gonorrhoeae. Commun Dis Rep CDR 2001;11:4-5.
  13. Janda WM, Knapp JS. Neisseria and Moraxella catarrhalis. Dans : PR Murray, EJ Baron, JH Jorgensen, MA Pfaller, RH Yolken (éds), Manual of Clinical Microbiology, 8th ed., American Society for Microbiology, Washington, D.C., 2003:585-608.

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