ARCHIVÉ - Rapport et recommandations du Réseau pan-canadien de santé publique sur l'utilisation d'antiviraux à des fins de prévention pendant une pandémie d'influenza

 

Réseau pancanadien de santé publique

Annexe 3.8 – Considérations liées aux Premières nations et aux Inuits

Auteur :
Kim Barker
Médecin-conseil, Assemblée des Premières nations

Date : Le 5 février 2007

Destinataire : Groupe de travail sur l’utilisation d’antiviraux à des fins prophylactiques

INFORMATION DE BASE/CONTEXTE

L’une des principales responsabilités de tout pays consiste à faire en sorte que la santé de son groupe le plus vulnérable soit prise en compte dans toute activité de promotion de la santé, de prévention de la maladie et de protection de la santé. Or, la santé des membres des Premières nations et des Inuits est indiscutablement moins bonne que celle des autres Canadiens et mérite de faire l’objet d’une attention particulière lorsqu’on étudie la valeur du recours aux antiviraux à des fins prophylactiques.

Ce document a été rédigé avec la collaboration des représentants de chaque région des techniciens en santé de l’Assemblée des Premières nations, de l’ITK et des médecins hygiénistes régionaux de la Direction générale des Premières nations et des Inuits de Santé Canada.

1. Premières nations

Dans l’état actuel des choses, les soins de santé primaires et les services de santé publique dispensés aux membres des Premières nations vivant dans les réserves relèvent du gouvernement fédéral alors que les services de soins secondaires et tertiaires sont du ressort des provinces et des territoires. C’est pourquoi, à première vue, il semble évident que c’est la Direction générale des Premières nations et des Inuits (DGSPNI) de Santé Canada qui devrait logiquement se charger de fournir une prophylaxie antivirale aux membres des Premières nations vivant dans les réserves. Toutefois la prescription et la distribution de médicaments sous surveillance médicale représentent un défi d’ordre logistique pour les ressources et les systèmes actuels de la DGSPNI. Une multitude de questions doivent être envisagées lorsqu’on élabore une stratégie pancanadienne de distribution d’antiviraux à des fins prophylactiques qui inclurait tous les membres des Premières nations, qu’ils vivent dans des réserves ou hors réserve.

2. Inuits

Les services de santé primaires et de santé publique destinés aux Inuits sont pris en charge par le gouvernement fédéral et les provinces/territoires et ce, aux termes d’accords de transfert et d’accords sur les revendications territoriales. Au Nunatsiavut et au Nunavik, ce sont actuellement les conseils régionaux de santé/administrations régionales qui dispensent les services de santé dans les régions visées par les accords. La DGSPNI assure certains services au sud du 60e parallèle, par exemple les programmes de lutte contre la tuberculose et le VIH/sida, mais la majorité des programmes financés par la DGSPNI portent sur la prévention primaire et la promotion de la santé.

Voici les six catégories de questions qui doivent être prises en considération à l’étape de l’élaboration et du lancement de toute stratégie axée sur une prophylaxie antivirale.

a) Processus décisionnel

Le gouvernement canadien, qui entend mettre à contribution les Canadiens dans les discussions entourant l’achat et la distribution d’antiviraux à des fins prophylactiques, devra adopter à cet égard une démarche particulière face aux Premières nations. En effet, idéalement, les dirigeants des Premières nations devraient être au courant du processus et prendre part aux discussions qui s’y rattachent. De même, les communautés des Premières nations devraient faire partie des groupes cibles de la population canadienne lorsqu’on fait appel à des groupes de discussion et à des entrevues.

L’exclusion des dirigeants des Premières nations du processus décisionnel comporte un risque énorme puisque ces derniers ont une responsabilité envers les membres de leur communauté à titre de dirigeants élus démocratiquement. Cette responsabilité comprend la communication des plans d’intervention d’urgence notamment en cas de pandémie de grippe.

Il y a également lieu d’adopter une démarche unique auprès des communautés inuites. Il sera essentiel d’inclure les dirigeants inuits dans le processus et les discussions. Jusqu’ici, la contribution des Inuits à l’élaboration de plans d’urgence ou à la préparation à une pandémie a été limitée. C’est une lacune à laquelle il faut remédier.

b) Questions de compétence

Actuellement, les services et les programmes de santé publique destinés aux membres des Premières nations vivant dans les réserves sont dispensés par le gouvernement fédéral en l’absence de toute loi fédérale sur la santé publique. C’est pourquoi il existe beaucoup de confusion au sujet des responsabilités que doivent assumer les provinces en vertu de leurs pouvoirs législatifs étant donné l’impression que par défaut, les Premières nations relèvent des lois provinciales et territoriales de la santé publique. Si le débat sur la question ne date pas d’hier et qu’il a récemment été exacerbé dans les dossiers touchant à la gestion des eaux et à la lutte contre le tabagisme, il ne fait aucun doute que lorsque survient une situation d’urgence liée à une pandémie, le moment est mal choisi pour engager un débat sur les sphères de compétence. Aussi, il est préférable de tenter de mettre en place un cadre de collaboration qui attribue au gouvernement fédéral des responsabilités liées à l’achat et aux provinces des responsabilités liées à la prestation de services, ce qui pourrait être décrit dans des protocoles d’entente tripartites qui exposeraient les rôles et les responsabilités des organismes fédéraux, des provinces et des territoires et des dirigeants des Premières nations.

Comme nous l’avons déjà signalé, les communautés inuites ont accès à la majorité des services de santé par l’entremise de mécanismes provinciaux et territoriaux. Le problème qui a été relevé c’est qu’il n’existe en ce moment pas assez de mécanismes permettant de faire en sorte que les communautés inuites soient mises à contribution à l’étape de l’élaboration de plans. On a évoqué avec inquiétude la possibilité que les provinces et les territoires prennent des décisions concernant par exemple la quantité d’antiviraux à distribuer aux communautés inuites sans être suffisamment bien renseignés sur ces communautés. Toute décision liée aux sphères de compétence, qui n’est prise que par habitant sans que soient pris en compte les effets sur la santé et les risques liés à toute éclosion, nuira à la capacité d’intervention du système de santé des communautés inuites. La conclusion d’ententes trilatérales entre les communautés inuites, les provinces/territoires et le gouvernement fédéral est essentielle à la réussite des interventions.

c) Facteur de l’éloignement

On peut alléguer que plusieurs communautés autres que celles des Premières nations vivent aussi dans des régions éloignées et isolées, mais il reste que la confusion entourant les secteurs de compétence, évoquée plus haut, est accentuée par les difficultés liées au fait de vivre en région éloignée dans une communauté des Premières nations.

Les principales questions sur lesquelles on doit se pencher sont celles­ci :

  • Le transport en temps voulu des fournitures médicales à partir d’un entrepôt centralisé pose un problème d’égalité d’accès des Premières nations par rapport au reste de la population canadienne.
  • On ne dispose pas de suffisamment de ressources humaines pour la supervision de la distribution des médicaments.
  • La capacité d’entreposage fait défaut.
  • Les communautés éloignées pourraient être privées des autres stratégies de communication qui expliquent le rôle des antiviraux et les conditions d’accès à ces produits et les moyens de les obtenir.

Les Inuits sont confrontés à bon nombre des mêmes problèmes qui ont été décrits plus hauts à l’égard des communautés des Premières nations. À ceux­là s’ajoute la question précise des ressources humaines nécessaires à la mise en œuvre de toute stratégie de prophylaxie antivirale.

d) Communication de la stratégie

Peu importe la décision ultime à laquelle parviennent les gouvernements FPT à l’égard de la prophylaxie antivirale, il faudra très certainement adopter une stratégie de communications particulière qui exposera la décision prise face aux Premières nations et aux Inuits. Cette stratégie devrait idéalement être définie en collaboration avec la DGSPNI et les organismes autochtones nationaux, mais elle devrait aussi être communiquée aux autorités régionales de la santé et aux services de santé publique des quatre coins du pays qui souvent semblent ne pas être tenus au courant des questions de santé publique qui touchent les Premières nations et les Inuits.

Il est aussi important de signaler l’ignorance des préparatifs et des plans d’intervention observée dans les communautés inuites. Les réalités qui sont liées à cet éloignement doivent être prises en considération et, selon les recommandations du groupe consultatif, il sera essentiel non seulement d’instaurer des stratégies de prophylaxie antivirale appropriées, mais aussi de mettre l’accent sur d’autres mesures permettant de réduire les répercussions d’une telle pandémie, comme l’endiguement, la mise en quarantaine et la connaissance des mesures d’hygiène de base.

e) Unicité des déterminants sociaux de la santé

Un examen de certains importants déterminants sociaux de la santé peut donner un aperçu des facteurs susceptibles de contribuer à un risque accru d’infection et de transmission.

Chez les Premières nations, le logement et les infrastructures sont dans un état critique. Mis à part la grave pénurie et, dans bien des cas, l’état déplorable de la structure des logements et de la qualité de l’air, la plus récente Enquête régionale longitudinale sur la santé des Premières nations indique que les taux de surpeuplement y sont 25 fois supérieurs à ce qu’ils sont dans le reste de la population canadienne.

La nutrition est considérée comme un enjeu important sur le plan de la promotion de la santé dans les communautés des Premières nations. Divers problèmes nutritionnels sont liés à un risque accru de maladie : alimentation déséquilibrée et insécurité alimentaire, abandon de l’alimentation traditionnelle au profit des aliments transformés, contaminants de l’environnement et carences nutritionnelles.

Le taux de prévalence du tabagisme chez les Premières nations s’élève à 62 %, le double de celui qui s’applique à l’ensemble des Canadiens. Le tabagisme et l’exposition à la fumée secondaire sont des facteurs de risque connus de séquelles plus graves associées à toute affection respiratoire.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un déterminant social de la santé, le diabète et d’autres maladies chroniques se retrouvent plus couramment chez les Premières nations et sont souvent associés à des complications telles que l’insuffisance rénale chronique. Ces phénomènes montrent que ces communautés portent souvent de lourds fardeaux de maladies chroniques qui accablent déjà leur système de soins de santé fragile.

Les taux de vaccination infantile sont parfois nettement plus faibles dans ces communautés que dans le reste de la population canadienne. Les enfants présentent des taux plus élevés d’infections respiratoires. En 1999, les taux d’incidence de la tuberculose étaient 18 fois plus élevés chez les membres des Premières nations vivant dans les réserves que chez les personnes non autochtones nées au Canada.

f) Respect à l’égard des différences culturelles

Il existe des barrières linguistiques, culturelles, sociales et économiques entre un grand nombre de pratiques occidentales et de pratiques traditionnelles des Premières nations et des Inuits sur le plan de la santé. Les différences culturelles liées à notre façon de définir la santé et la valeur de la vie humaine sont autant d’éléments qui doivent être pris en considération au même titre que d’autres éléments qui entrent en ligne de compte dans les décisions plus traditionnelles de type occidental dans un contexte tel que la distribution d’antiviraux à des fins prophylactiques. Il y a lieu de tenir compte du rôle des aînés, des guérisseurs traditionnels et des démarches holistiques face à la maladie et à la santé communautaire lorsqu’on décide d’appliquer à la réalité des Premières nations et des Inuits la même démarche qui a guidé une décision prise à l’égard de la distribution d’antiviraux à des fins prophylactiques dans l’ensemble de la population.

Conclusion

La décision de fournir une prophylaxie antivirale soit à tous les Canadiens, soit à aucun, ou encore à un sous-ensemble préétabli d’individus est éminemment complexe. Lorsqu’on s’interroge sur la capacité d’appliquer cette décision aux Premières nations et aux Inuits, il est essentiel de prendre en considération leur contexte particulier, notamment les différences culturelles et l’autonomie gouvernementale, les déterminants sociaux de la santé et les réalités actuelles liées au fardeau de la maladie, les ambiguïtés qui entourent la question des compétences et l’éloignement géographique. Une décision d’offrir ou non des antiviraux à des fins prophylactiques à tous les Canadiens devra peut­être comprendre des éléments d’exception qui tiendront compte de la situation particulière des Premières nations et des Inuits vivant dans leur communauté.

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